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Un cri du peuple
7 septembre 2021

Vies de quartier - XXI. Adam III

Adam Sarah Kiè le trio infernal. Le taxi les dépose devant l'aéroport et retour de vacances pour tout le monde. Presque cinq semaines pour Kiè un peu moins de deux pour Sarah et Adam. Faut bien rentrer la semaine prochaine c'est l'école pour Kiè retour à la fac pour Adam et retour à l'hôpital pour Sarah elle va retrouver ses collègues de la Pitié avec lesquels elle s'entend bien les toubibs de la Pitié qu'elle peut pas blairer qui prennent les aide-soignantes pour des merdes et les patients plus ou moins cool plus ou moins dans la merde plus ou moins riches ou pauvres plus ou moins jeunes ou vieux plus ou moins cons parfois, comme la société en gros.

Adam pose la valise sur le tapis pour l'enregistrement Sarah parle avec la fille derrière le comptoir en thaï Kiè joue avec son téléphone, Adam lui dit de couper ça, ils regardent le grand écran c'est écrit ''Paris'' un avion direct ça va être difficile pour Adam de pas cloper pendant quatorze heures et des brouettes mais au moins pas besoin de s'emmerder avec une escale il sait pas trop où perdu dans un aéroport vide au milieu de la nuit en banlieue de Moscou Doha Bengalore, Dubaï, Kiev ou Amsterdam.

Sarah colle Kiè contre le hublot pour qu'il dorme un peu ça la reposera un peu il a parfois un côté un peu hyperactif ce gamin. Il pose sa tête contre sa mère et s'endort avant même que le zinc décolle et Adam a réussi à trouver Le Monde en français à Suvarnabhumi c'est inespéré bon d'accord c'est la feuille de choux de l'avant-veille mais ça le remet un peu d'actualité sur ce qui se passe en France c'est-à-dire pas grand chose pour la semaine juste après le 15 août y a un chanteur qui avait fait un tube à la con dans les années soixante-dix qu'a passé l'arme à gauche alors l'article verse une larme adroite et un accord économique à la con entre la France et la Suède un nouveau film de Christophe Honoré dézingué par un journaleux alors Adam parie que Télérama va encenser le navet comme d'habitude enfin la France au mois d'août : le tour de France cycliste est terminé, la rentrée pas encore là, le gouvernement est en vacances la politique en mode veille, pas de neige ou de verglas à commenter, pas de crise internationale qui mérite d'être traitée plus que ça, plus plus de gosses qui crèvent de faim dans le monde que d'habitude et surtout pas de meurtre qui intéresserait les médias. Le calme plat. Il range le canard dans la poche du siège de devant et ferme les yeux en pensant à la France et à cette famille du nord qui ne lâche pas ses pensées, comme s'il leur était redevable de quelque chose, comme si les reproches de réussite sociale dont il fait l'objet et qu'il réfute le gagnaient de plus en plus, comme s'il devait encore culpabiliser. Retourner dans le nord pour l'enterrement de la vieille, revoir tout le monde, revoir tout ça, c'est pas ce qui lui a fait le plus de bien, c'est sûr.

 

C'est déjà la fin du mois d'août mais les parisiens ne sont pas encore rentrés de province ou de l'étranger. Après être passé chez les amis Gabriel et Elena, où il a croisé Chloé et Pierre et Janot et Lolo ça lui a fait trop plaisir, Adam marche rue Soufflot il revient de chez Bonnefoi la librairie de livres anciens boulevard Saint-Michel en face du jardin du Luxembourg il achète pratiquement jamais de bouquins chez Bonnefoi mais il adore se balader dans la petite boutique entre les rayons l'odeur des vieux livres c'est un peu comme une drogue chaque semaine il y passe, quand il se balade dans Paris cette ville qu'il a adoptée et qu'il aime. Il passe devant le Mac Do et débarque sur la place du Panthéon et ça lui fait toujours quelque chose cette phrase ''Aux grand Hommes, la Patrie reconnaissante'' c'est pas rien ce truc qui abrite les plus grands, celles et ceux qui ont fait avancer les choses ou qui ont eu des couilles raisonnables c'est-à-dire du courage avec intelligence. Il admire les gens courageux Adam, les gens qui savent penser qui savent parler qui savent foncer mais pas sans réfléchir il aime les gens qui n'ont pas de honte à dire ce qu'ils n'ont pas de honte à penser.

Y a pas grand monde, la Sorbonne a l'air bien vide sur la gauche faut dire c'est dimanche.

 

Ils sont rentrés de Thaïlande hier et ça lui fait du bien à Adam d'aller marcher un peu, se dégourdir les jambes, passer à la librairie. Juste une heure, pas plus. Kiè est chez un de ses copains en bas de la rue Monge, Sarah doit faire une sieste sur le canapé et sous un plaid en attendant de reprendre le boulot demain matin.

Adam débarque en haut de la rue Mouffetard et descend jusqu'à la place, jusqu'à sa place de la Contrescarpe il est seize heures et ça sent la fin d'après-midi ambiance café pour lui thé pour Sarah fenêtres du salon et de la cuisine ouvertes au deuxième étage comme si le léger bruit de la place n'existait plus comme un silence de dimanche soir en hiver comme si on attendait que le soleil se couche comme si on était déjà demain un peu comme tous ces gens qui vivent par procuration, qui rentrent dès deux heures de l'après-midi des repas de famille parce que ''demain on bosse, hein''. Adam il a pas ce problème de repas de famille et il a toujours refusé cela : ne rien faire car demain on fait, rentrer tôt car demain on se lève tôt, mais aujourd'hui pourquoi pas. Il ne veut pas que Paris lui impose ce rythme effréné que n'importe quel provincial débarquant dans la capitale se sent inconsciemment obligé de suivre à galoper dans le métro comme des cinglés comme si tout le monde est à trente secondes près. Après la Thaïlande, Adam il veut flâner, glander, traîner ; il a encore une semaine avant de reprendre ses recherches à la fac d'ici-là il va préparer un peu ses cours il accueille des étudiants de première année mi-septembre, ça l'amuse pas il préfère les Masters mais disons que ça change faut juste qu'il adapte un peu ses cours en plus facile il parait qu'on ne sait plus rien avec le bac, maintenant.

 

Adam s'assoie à une des nombreuses tables vides de chez Delmas, commande une bière et téléphone à Sarah. Il lui dit de regarder par la fenêtre et il lui fait signe depuis la terrasse du café. Il lui propose de la rejoindre Sarah dit non elle préfère rester glander dans l'appartement juste au dessus du Petit Gaston, Adam ne va jamais dans ce café parce qu'il aime bien voir son appartement. Il lui dit qu'il la rejoint elle lui sourit lui fait un signe et elle retourne sur le canapé elle dormait Adam l'a réveillée mais c'est pas grave elle avait trop dormi de toute façon ; elle va préparer le riz pour ce soir et elle va en faire un peu plus pour sa gamelle demain midi.

Il fait un peu frais aujourd'hui ou alors c'est parce qu'il s'est habitué aux chaleurs tropicales depuis dix jours. Le thermomètre de la pharmacie indique trente degrés mais Adam se sent bien avec sa chemise et son pantalon de toile. Une de ses élèves passe devant le café et elle le salut, s'arrête quelques instants pour lui demander s'il a passé de bonnes vacances et il lui réplique qu'il est encore en vacances il reste une semaine et il compte bien en profiter loin de ses élèves. Ça la fait marrer, il lui demande en retour si son été s'est bien passé et elle dit oui elle revient juste de chez ses parents à Montpellier elle a retrouvé son petit studio d'étudiante plus qu'une année à tirer ça va passer vite. Ça lui fait toujours plaisir à Adam de croiser ses élèves même si parfois, il a pas grand chose à leur dire il est pas dans le contexte il sait pas vraiment de quoi il pourrait causer à part du temps qui passe du temps qu'il fait du temps qu'on a comme tous ces trucs qu'on dit quand on n'a rien à dire, quand on croise une voisine un peu âgée à la boulangerie ou un cousin éloigné à Franprix on demande des nouvelles des gosses la grande ses leçons de piano le petit va passer son brevet des collèges il est premier de sa classe c'est bien comment va ta femme ton chien est pas mort ton boulot toujours la même chose bonjours chez toi ah toi aussi embrasse Sarah et finalement on s'en fout, tiens j'ai croisé machin aujourd'hui ça a l'air d'aller il te dit bonjour. Bon d'accord Sarah et le cousin, connaissance, collègue, se sont vu qu'une ou deux fois au mariage du mari de la bécane à jules qui est le neveux par alliance de la tante de la belle sœur de sa mère mais bon il dit bonjour quoi. On a tous un morceau éloigné de famille qui vit à Paris même quand on vient de province on peut pas y échapper et des fois ça serait pas plus mal. Juste les potes, les amis, la famille qu'on se choisie en gros. Depuis quand on est plus proche d'un cousin qu'on voit à peine une fois par an que d'un ami qu'on voit presque toutes les semaines ou d'un collègue qu'on voit presque tous les jours. Lequel sait le plus de choses sur nous ?

 

Adam envoie un message à Sarah pour lui dire qu'il va passer chez le traiteur vietnamien juste à côté pour prendre des nems du poulet grillé. Il se doute qu'elle a fait du riz et ça sera très bien pour ce soir. Il va passer juste à côté chez le petit gars qui vend des fruits et légumes acheter des letchis Kiè sera content il adore ça.

 

Téléphone. Maître Pockann. Le procès aura lieu dans environ un an. On a le temps d'attendre... L'avocat a dit que c'est toujours comme ça c'est toujours long la justice. Dylan sera jugé avec Monsieur Zaladou. Encore une fois Adam demande qui c'est ce gars l'avocat dit Ismaël Zaladou. Pareil Adam a entendu parler d'un Ismaël un grand black parce qu'il joue à la pétanque avec Pierrot le dimanche c'est Samantha qui avait dit ça. Quel rapport ? L'avocat dit qu'ils sont accusés du meurtre tous les deux et ils seront jugés ensemble mais chacun accuse l'autre ils se rejettent la faute bref, soit y a un truc qui sort au procès soit ils prendront pareil. Rassurez-vous je m'entends bien avec l'avocat de Monsieur Zaladou qu'il dit l'autre, Adam voit pas en quoi ça le rassure ou pas et il voit pas en quoi il pourrait être rassuré c'est son frère qui est jugé pas lui. D'un sens, il se dit qu'il s'en fout un peu c'est pas son problème lui il a sa vie ici à Paris et il veut surtout pas la perdre. Il dit à l'avocat de ne plus l'appeler sauf si c'est vraiment important et il répond qu'il va le faire témoigner au procès.

    • Témoigner de quoi ?

    • Ben témoigner, quoi ! Répond l'avocat comme si c'était évident.

Et il termine par un magnifique ''Je vous appellerai pour vous donner la date, bonne journée, au revoir !''

Ok. Merci. Il est bien avancé Adam. Il sait pas de quoi il va témoigner mais il sait qu'il va témoigner quoi.
Il a l'air complètement à côté de ses pompes cet avocat on dirait qu'il traite une affaire de vol de mobylette.

 

Adam pose son téléphone avale son café attrape sa sacoche et direction le métro Jussieu puis sortir à Tolbiac c'est bien c'est direct c'est rapide c'est la rentrée avec tout ça il a l'impression d'avoir déconnecté pendant six mois. C'est con mais ça bouleverse un cerveau, une famille. Il va aller témoigner de quoi l'année prochaine ? Dire que son frère est un crétin fini qui fait des trafics pourris et qui met sa nana sur le trottoir mais qu'il le voit pas tuer quelqu'un ? On va lui répondre qu'il y a des preuves alors que son frère est encore plus crétin qu'il le croyait ? Il va prendre dix ans, vingt ans, combien on prend pour un meurtre ? Adam il en sait rien il y connaît rien il est juste allé voir sur Internet la différence entre la cour d'Assises et le tribunal Correctionnel et comme c'est un crime c'est les Assises. Sinon il a pas compris grand-chose.

Enfin, ce matin, il commence avec 1848 Napoléon III et Lamartine qui veut nationaliser les chemins de fer tout le monde croyait que ça marcherait jamais son truc. Finalement il était pas si con le Alphonse malgré Le lac.

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