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Un cri du peuple
7 septembre 2021

Vies de quartiers - XXXI. Epilogue

Juillet, l'été suivant

 

Elle descend la rue Mouffetard Sarah et elle va récupérer le gamin. Kiè passe beaucoup de temps chez son pote qui habite pas loin les parents sont ok ils disent qu'il est poli et drôle, Kiè.

Ça leur fait du bien de se retrouver tous les deux. Sarah est en vacances, Kiè aussi. Tout le monde est apaisé depuis le printemps. Adam a eu du mal à se remettre du procès de son frère ça l'a beaucoup plus atteint qu'il veut bien l'avouer. Maintenant tout va bien. Ils vont partir en vacances la semaine prochaine avec tous leurs amis dans le sud en Provence. C'est une parenthèse qui va vider la tête de tout le monde. C'est bien.

Leurs pas les mènent pas loin de la place d'Italie. Sarah aime bien ce quartier du sud de Paris avec ses grandes artères : ça lui rappelle les grandes rues démesurées des villes de Thaïlande. Kiè a treize ans maintenant. Il tient la main de sa mère dans la rue et nos deux zigotos marchent tranquillement en riant, papotant, bavardant ou quoi que ce soit comme disait l'autre. Pour les vacances et la chaleur de l'été, Kiè a troqué son jean et ses baskets contre sa tenue traditionnelle : maillot de foot, short de foot, pieds-nus et claquettes. Il est bien que comme ça et parfois, quand il part à l'école le matin habillé en ''élève normal'' Adam et Sarah ont l'impression qu'il est déguisé tellement il se change immédiatement quand il rentre à la maison.

Ils se posent à la terrasse d'un café au milieu du bruit de la circulation. C'est con mais Sarah ça lui fait du bien de temps en temps. Kiè prend un Coca, Sarah du lait comme d'habitude. Kiè raconte son après-midi chez son pote. C'est marrant son pote il s'appelle Addam aussi mais avec deux ''D''. Ils ont joué à la console, joué à la console et puis aussi joué à la console. Et après ils ont fait un jeu sur les téléphones. La base quoi.

 

Pendant ce temps-là, Adam marche dans les petites rues grimpantes de Montmartre. Il se rend chez Emma et Junon pour boire un verre en cette fin d'après-midi agréable. Il se rappelle la première fois où il a emmené Sarah ici, ils ont beaucoup marché elle était complètement claquée ils sont rentrés à six heures du soir elle a pioncé deux heures.

Il aime bien les petites rues de Montmartre Adam. Pas les rues à touristes au pied du Sacré-Cœur, non. Les petites rues à côté où il y a personne. Les fenêtres basses le long des rues font penser à des villages du sud de la France. On entend pas les voitures on voit pas les touristes y a des cafés sur les petites places sous les arbres on se croirait partout sauf à Paris manquerait plus que des vieux qui jouent à la pétanque et des encore plus vieux qui les regardent assis sur des bancs en attendant que la mort les cueille comme ça, sans rien dire. Pas de symboles parisiens ici : pas de colonnes d'affichages, de chaises vertes comme aux Tuileries, de chiottes publiques, de parcmètres parce qu'il y a pas de places de parkings, pas de grands immeubles haussmanniens comme si les vieux lampadaires à huile n'avaient pas encore été remplacés par des lampes électriques veillant sur les pavés gris et secs qui soulèvent de la poussière à chaque pas, comme indestructibles face au temps qui passe, en dehors de l'Histoire des horreurs et des trucs cool, des connards et des gens bien, loin du mémorial de la Shoah et du Panthéon de la Tour Eiffel et du Louvre des grands boulevards et des grands magasins des quais de scène et des bateaux-mouche. Ici, tout semble loin de tout même tellement loin de la Contrescarpe. Elles habitent un coin sympa, Emma et Junon.

Emma est prof de sciences dans un collège et Junon organise des voyages pour envoyer les gens qui en ont les moyens à l’autre bout du monde. Adam se dit parfois que ça coûte cher de réaliser ses rêves.

Ils boivent une bière dans l'arrière-cour. Personne pour venir les emmerder, le soleil tape sans agressivité c'est bien. Ils parlent des vacances ils partent la semaine prochaine tous ensemble avec le reste des amis. C'est bien.

 

Villefranche au nord de Lyon l'aire d'autoroute. Gabriel et Elena s’arrêtent Mario a besoin d'être changé la couche est pleine. Les amis sont là. Chloé et Pierre Janot et Lolo suivent. Adam Sarah Kiè juste derrière. Junon Emma et Cozi qui conduit la quatrième tire se rangent derrière. Quatre bagnoles à la suite on dirait un go-fast mais non ils partent juste en vacances. La villa est louée pour deux semaines au pied du géant de Provence au milieu des champs de lavande pas encore coupée en juillet. trois cents balles par personne finalement c'est pas si cher. Adam et Sarah ont proposé ça. Ils en avaient besoin après le dernier été bien merdique. Janot et Lolo ont dit ça fait un peu cher, ah ces artistes jamais une thune faut arrêter le théâtre Janot ! Pierre et Chloé ont dit on peut vous dépanner de cent balles. Junon et Emma ont dit ok. Cozi est toujours de la partie, lui le seul célibataire de la bande. Y a sept chambres dans cette maison. Mario dormira avec ses parents, Kiè aura sa chambre et y aura même une chambre en cas d'invité. Arthur a dit qu'il passerait en début de séjour. Jolie terrasse jolie piscine jolie table sous une pergola jolie cuisine jolie vue sur le Mont Ventoux.

Gabriel Pierre Junon et Cozi boivent un café. Adam Emma et Lolo fument une clope dehors. Sarah et Elena changent Mario. Janot et Kiè discutent près des bagnoles.

Et on reprend la route. Adam, Elena, Lolo, Cozi, les quatre conduisent et avalent les kilomètres sur l'autoroute ; les autres ont enlevé leurs pompes chaussettes contre le pare-brise oreillers contre la nuque bouquin contre les yeux musique dans les écouteurs contre les oreilles Le paysage défile, monotone. Quand on quitte l'autoroute il reste pas grand-chose finalement. Une vingtaine de bornes au milieu des oliviers des pommiers des abricotiers des pêchers des poiriers des vignes des petites maisons que l'on croise en pierres aux volets bleus dès qu'on sort des caisses la chaleur prend et humidifie la peau. Finalement on est mieux dans les voitures et puis la petite place les vieux jouent à la pétanque à l'ombre des platanes y a des bancs comme dans le rêve d'Adam pour Montmartre en fait. Les quatre bagnoles garées sont encore entourées d'un léger nuage de poussière mélangé à du sable tout le monde les regarde c'est quoi tous ces parigots qui débarquent avec quatre grosses voitures ; ils sont pourtant habitués aux touristes les gens d'ici mais ils veulent pas d'emmerdes bon les gens ils ont bien l'air de parisiens avec leurs fringues de touristes leur peau aussi blanche que s'ils avaient été en vacances dans un lavabo sauf la petite asiatique là bas ils ont pas l'air de mafieux qui vont foutre le bordel, tout le monde les regarde personne dit rien. Janot s'avance vers les gars qui jouent à la pétanque pour regarder il dit bonjour personne lui répond tout le monde le regarde il se dit merde j'suis pas le bienvenu et il se dit merde je les emmerde je fais rien de mal j'ai le droit d'être là, Gabriel s'approche aussi même bonjour même réaction. Janot et Gabriel ils ont envie de leur dire eh les gars on va pas vous bouffer on est juste sympa et poli on fait que regarder on est pas des gangsters tout va bien se passer mais ils disent rien ils regardent un peu et c'est tout. Adam téléphone et une vieille arrive et leur ouvre la maison elle dit vous faites pas n'importe quoi les petits jeunes c'est bon ils ont la quarantaine c'est pas des sauvages tout va bien se passer et puis elle voit Mario la grand-mère ça la rassure, ça rassure toujours un bébé. Ça veut dire ''on est sérieux''. Ça va c'est une loc' pas un R-Bn'B non plus. Faut se détendre grand-mère.

Qui va faire les courses allez Cozi Pierre Adam. Les autres vont préparer les chambres la table faire la cuisine. Tout s'arrange. Kiè est déjà en train de faire le con dans la piscine. Avec Elena évidemment elle est con celle-là toujours la première à faire l'andouille. Sarah se jette dans la flotte très vite aussi parce qu'elle veut pas être la dernière.

 

Énorme pad thaï pour tout le monde douze personnes sans compter Mario il est encore trop petit bébé Mario. Sarah a préparé ça en à peine une demi-heure avec Emma et Lolo. Tout le monde connaît la bouffe de Sarah, tout le monde kiffe et ça fait du bien de se retrouver de se raconter des anecdotes de l'année écoulée de se voir enfin tous ensemble les verres s'entrechoquent pour trinquer encore et encore on se sourit on chante des chansons à la con chansons paillardes chansons à boire chansons jolies aussi Janot, Gabriel, Adam prennent la guitare à tour de rôle.

Le lendemain neuf heures Adam est déjà debout il aime bien la grasse matinée mais pas après huit heures sinon pour lui c'est du temps de jour perdu, du temps de vie perdu. Gabriel est réveillé aussi parce que Mario fait ses dents et qu'il l'a réveillé ce matin. Junon est debout aussi. Ils se prennent un café tous les trois et Arthur appelle il sera là vers treize heures c'est cool qu'il les rejoigne il connaît surtout Adam et Sarah mais les autres un peu aussi depuis l'année dernière dans le nord ils sont devenus potes avec Adam et puis Arthur vient souvent à Paris.

En attendant c'est peinard : toute la maison dort. Ils sont là, seulement à trois. C'est pas parce que c'est eux. C'est juste que c'est agréable d'être sur la terrasse au milieu des fleurs et des plantes devant la piscine avec un kawa en parlant doucement parce que la maison dort. La maison, ce matin-là on dirait le jardin au début d'Antigone quand la nature est encore vierge et pas encore polluée par les Hommes. On dirait que la montagne chauve n’est pas encore tout à fait réveillée. Quelques nuages de brume sont encore accrochés à son sommet comme si les cernes de la nuit n’étaient pas encore complètement effacés. Le soleil commence à chauffer et on sent bien qu’il va avoir raison de ces cernes, que la montagne va de nouveau avoir la peau lisse comme une pommade de chaleur pour polir les cailloux sur lesquels la végétation ne pousse pas : trop haut, trop de vent, trop de calcaire. Et puis c'est marrant : Gabriel, Junon, Arthur, les trois anciens collègues dans une autre vie dans un lycée ils formaient une équipe de choc. C'est con mais ça leur fait du bien de se retrouver là au petit matin à ne rien dire ou presque les silences ne sont pas pesants les silences sont légers les silences sont frais pas orageux, rosée humide du matin pas moiteur de la fin d'après-midi.

  

Arthur raconte des anecdotes drôles sur son taff dans le nord, les légendes des gens du nord, la consanguinité les viols et toutes ces conneries qui ne sont que des légendes : c’est partout pareil partout la même merde ou partout les mêmes vies normales rangées calmes. Il reprend un coup de rouge et raconte sa dernière blague de cul à la con comme d’habitude.

Pierre, Janot et Gabriel parlent de jeux de plateaux, jeux de société, jeux de cartes, tout ce qui joue en dehors d’un écran quoi. Ils sont passionnés et puis Pierre, c’est son taff vendeur de jeux de société. Ils s’inventent des personnages, des vies, des histoires, des scenarii, des mondes parallèles et ça les fait marrer dans un langage presque féerique qu’eux seuls comprennent, mélange de Tolkien, de K. Dick, Game of thrones et et de Dune de Herbert. Gabriel utilise même certains de ces jeux pour enseigner la philo à ses élèves, au lycée. Adam, Emma, Junon et Cozi débattent de politique et de société, comme d’habitude. C’est le genre de trucs qu’ils aiment bien et puis Adam et Cozi ont participé ensemble aux mêmes manifs, quand ils étaient étudiants, encore jeunes et beaux à l’époque. Lolo, Elena et Sarah échangent sur le meilleur vin. Sarah préfère le blanc liquoreux, Lolo le blanc sec et Elena le rouge. Jamais capables de se mettre d’accord ces trois-là. Kiè fait le con dans la piscine. Depuis hier soir et l’arrivée en vacances il a dû passer les trois quarts de son temps dans la flotte celui-là. Il dort il bouffe il se baigne et on recommence.

Janot sort son ukulélé offert pour son anniversaire il y a deux ans. Il commence l’introduction des Copains d’abord et tout le monde chante, un peu éméché : certains ont entamé le rhum, Cozi le whisky, Junon la vodka. Elena reste finalement au Champagne y a que ça qu’elle préfère en fait. Ça peut coûter la peau du cul au bout d’un moment heureusement que les vacances c’est qu’une fois par an.

Les verres claquent toujours les uns contre les autres pour trinquer, on boit à vous, à nous, à eux, à l’amitié, aux vacances et à ce genre de soirées tranquilles, autour de la table, on a bien mangé, on a bien bu, on va essayer de bien dormir. Les premières à aller se coucher c’est Chloé et Sarah juste avant Lolo qui est encore crevée d’avoir conduit presque tout le trajet hier. Emma va pas tarder aussi et elle insiste pour que Junon monte en même temps qu’elle. Elle promet qu’elle va pas tarder, Junon. Si t’y crois pas à celle-là je t’en raconterai une autre. On a le temps.

Arthur Adam et Gabriel fument trop et refont le monde, crachent sur les cons et rêvent d’une société idéale comme ces conversations un peu secrètes que l’on échange à une certaine heure après quelques verres. Bientôt, les amis s’éclipsent un à un, les lumières s’éteignent et au milieu de la nuit la maison s’enveloppe dans le silence. C’est l’heure bleue : il est trop tard pour les derniers noctambules et trop tôt pour que le matin n’arrive. Il ne se passe rien à cette heure. A peine aperçoit-on une lueur un peu plus claire là-bas, à l’horizon vers l’est qui va tout à l’heure éclairer le flanc blanc de la montagne pour la réveiller lentement : le Mont Ventoux a toujours du mal à sortir de ses draps le matin. Maintenant tout le monde dort. Les verres sont encore sur la table de la terrasse. Le lave-vaisselle attendra demain. Les lumières sont éteintes, les cigales et les grillons dorment, seule le système de filtration de la piscine émet un léger ronflement qui se mélange au bruit des feuilles dans le vent chaud et lent de l’été provençal.

 

* * *

 

Il est onze heures. Arthur se réveille péniblement devant son troisième café. Il doit partir après manger direction l’Italie pour un meeting aérien les avions il kiffe ça Arthur c’est sa passion cette fois il va faire voler des modèles réduits avec une télécommande dans les pattes en Toscane sur les terres du vieux Leonardo.

Les autres c’est comater sur les transats à l’ombre de la terrasse, dans les hamacs tendus entre les pins de l’autre côté de la piscine. Junon et Cozi font carrément la sieste dans le salon chacun avachi sur un canapé. Même Kiè est calme sur le matelas flottant au milieu de la flotte en plein soleil.

  

Sarah et Adam marchent un peu pour sortir du village. Direction le petit chemin de pierre qui monte au milieu des champs de lavande. Elle adore ça Sarah ce paysage ces odeurs et le bruit des abeilles des bourdons partout autour d’elle.

Ça leur fait du bien aussi de se retrouver tous les deux Adam et Sarah. Ils aiment se balader à la campagne ça change de Paris la rue Mouffetard la place les cafés les restaurants les voitures.

 

Deux semaines déjà. Aujourd’hui c’est dimanche et les coffres des voitures sont de nouveau remplis de valises et de sacs. Deux semaines de parenthèse qui se terminent sous le soleil du sud de la France. La vie va reprendre son cours, très bientôt pour les uns, dans quelques jours ou quelques semaines pour les autres. Le mois de juillet se termine pour laisser la place à la fin de l’été, ce mois d’août qui passe toujours à une vitesse folle malgré le calme de Paris à cette période. Les portes se referment. Les volets aussi. Tout le monde reprend l’autoroute vers le nord sauf Cozi qui conduit la voiture de Sarah et Adam, avec Kiè il emmène ces trois-là à l’aéroport de Nice. Il récupérera sa voiture chez Pierre et Chloé à Paris en rentrant.

Arrêt à Aix-en-Provence vers midi pour manger dans un petit restaurant près du Cours Mirabeau. Personne n’est pressé. La voiture passe Marseille les jeunes se jettent du haut de la corniche Kennedy et on entame la montée de la route des crêtes vue sur la mer les Calanques ocre plongent dans la mer turquoise. Les plages succèdent aux sous-bois de pins parsemées de villas les Yachts se baignent dans la grande bleue et voilà. Cozi va faire la route de nuit jusque Genève il va passer voir son frère avant de remonter bosser à Paris, reprendre ses tournées la semaine prochaine recommencer à distribuer le courrier plus de lettres d’amour comme avant des factures des relevés de la sécu des magazines des fringues commandées sur Internet les lettres des impôts cet automne et tout recommencera.

  

L’avion est à l’heure. Kiè est tout excité de lire Bangkok sur le grand panneau dans le hall de l’aéroport. Enregistrement, bagages sur le tapis roulant ils ont l’habitude en fait. Dernière cigarette pour Adam avant de monter dans l’avion avant rien du tout d’ailleurs dernière cigarette tout court dernière du paquet ça y est. Demain les tropiques ne le verront plus avec une cigarette dans la bouche. Ils sont bien tous les trois dans cet avion. Un direct. Elle est bien cette petite famille recomposée. Adam, Sarah, Kiè.

La famille c’est comme les amis c’est celle qu’on choisit finalement. Juste dormir un peu. Profiter de ces trois semaines loin de tout, retour aux sources pour Sarah et Kiè, l’occasion de nouveaux émerveillements pour Adam. Profiter avant la rentrée avant de recommencer avant l’arrière-saison. Le soleil baisse à l’ouest et l’avion décolle vers l’est comme dans un mouvement lent et limpide. La nuit va être calme. Direction la Thaïlande. Allez Sarah, on va chez toi.

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