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Un cri du peuple
7 septembre 2021

Vies de quartiers - XXIV. Madame la Présidente

 

    • Julie Delacroix !

Silence.

    • Hicham El Kohmi !

Silence.

    • Marceau Delange !

    • Révoqué ! dit Maître Pockann.

    • François Sauvage !

Silence.

    • Aaron Nemen !

Silence.

    • Karine Longchamp !

Silence.

    • Louise Benichou !

    • Révoquée ! Dit Maître Pockann.

    • Louis Michel !

    • Révoqué ! dit l'avocat général.

    • Maryse Braun !

Silence.

Voilà. On a les six. Les six jurés du procès. Ça peut commencer.

Pourquoi Monsieur Delange, Madame Bénichou, et Monsieur Michel ont été révoqués ? Personne ne le saura jamais. Pour Madame Bénichou, peut-être parce que son nom rappelant les noms juifs séfarades est de la même racine que la victime ce qui peut la rendre moins objective ? Pour Monsieur Michel le fait que ce soit un jeune mec de l'âge des accusés avec une tronche de gars de quartier pas objectif non plus – délit de salle gueule, certes ? On ne prend pas de risques avec un procès aux Assises. C'est les droits de la défense et du ministère public, y a pas à se justifier et tout le monde sait que ça portera pas préjudice à qui que ce soit dans une heure tout le monde aura oublié.

 

La Présidente demande alors : ''Accusés, levez-vous, s'il vous plaît''.

Ismaël se lève le premier, rapidement, droit, il veut manifestement impressionner par sa stature sa taille et porte un T-shirt noir à manche courtes très près du corps comme les sportifs pour montrer ses muscles. Grosse tactique toujours payante dans un tribunal c'est bien connu.

Dylan met du temps à se lever, a l'air d'en avoir rien à battre. Il a un T-shirt blanc négligé, presque crade un jean trop grand et il dit ouais ouais voilà. Il se replie un peu sur lui-même genre j'ai rien fait c'est lui. Petite tactique toujours payante dans un tribunal c'est bien connu.

La veille de son transfert Dylan s'est fait tatouer une larme au coin de l’œil par un autre gars de la prison pour montrer qu'il a pas peur. Très malin : une larme ça veut dire ''j'ai déjà tué une personne''. C'est censé impressionner ? Il croit qu'avec ça on le fera pas chier ? Il croit qu'un procès d'Assises c'est une confrontation dans le quartier ou quoi ?

Forcément, vue la scène, la Présidente demande d'abord à Dylan de décliner son identité.

    • Ben Dylan quarante ans 32 Danube à Océan à Douai.

    • D'abord Monsieur, vous n'êtes pas ''Ben Dylan'', vous avez un prénom et un nom je suppose…

    • Ben ouais Dylan Salvi quoi.

    • Dylan Salvi-Quoi, très bien. 32 Danube vous pouvez nous expliquer ?

    • Ben c'est là que j'habite quoi. Enfin avant la taule. Vous allez me libérer hein Madame ! Parce que moi j'ai rien à faire là-dedans hein. En plus à Maubeuge c'est super loin et….

    • Monsieur Salvi. Ce n'est pas le moment. Je vous demandais juste de nous préciser votre adresse... avant votre détention, évidemment….

    • Ben j'vous ai dit M'dame, 32 Danube.

    • Ce n'est pas une adresse, Monsieur….

La juge fait exprès elle est sur la provoc direct elle le fait chier exprès pour lui montrer qu'on fait pas n'importe quoi qu'on parle pas n'importe comment devant un tribunal. Bon courage M'dame...

    • Vous voulez quoi ? L'étage ? C'est quatrième étage M'dame. En taule c'est au deuxième mais c'est parce qu'on m'a refusé auxi...

    • Non, j'aimerais que vous donniez votre adresse exacte au tribunal, tout simplement.

    • Ben j'vous ai dit M'dame 32 Danube quartier Océan quatrième étage vous voulez quoi de plus ?

    • Votre adresse. Vous ne nous avez toujours pas dit votre adresse….

La juge reste très calme. Elle parle d'une voix monocorde. Ça va être long.

Ismaël murmure un ''magne-toi putain…''

    • Ta gueule toi enculé ! Je parle pas à vous M'dame excusez-moi mais ce fils de pute il commence déjà à casser les couilles vous comprenez ?

    • Non je ne comprends pas. Et je vous saurai grée de bien vouloir bannir ce genre de vocabulaire de mon tribunal. Donc votre adresse ?

    • Vous voulez que je vous dise quoi ? Je comprends rien à ce que vous dites avec vos mots chelou là ! C'est pour m'humilier c'est ça ? 32 Danube Océan Douai quatrième appartement à gauche ! Vous voulez quoi de plus merde !

Il hurle déjà Dylan. Il se prend la tête, la tape contre la vitre, tape sur le dossier du banc de bois, ne comprend pas ce qu'on lui demande mais comprend qu'il doit pas faire n'importe quoi essaye de se contenir. Limite il a envie de chialer. Il comprend pas ce qu'on lui veut. Il peut pas bouger. Tout le monde le regarde.

    • Ce n'est pas une adresse, Monsieur, continue la juge. Je vous demande de dire à la cour votre adresse. En êtes-vous au moins capable ? Vous connaissez votre adresse ou c'est la détention qui vous l'a faite oublier ? Sinon, donnez-nous l'adresse de la détention...

La voix de la juge reste la même : calme, monocorde, sèche, sans appel.

Dylan ne peut pas la regarder en face. Il la déteste cette femme aux cheveux courts et blancs, aucun sourire on voit même pas ses dents deux yeux bleus qui ont l'air de percer la salle à coup de sabres lasers.

Il ne dit plus rien.

    • Monsieur, si vous ne pouvez pas vous souvenir de votre adresse exacte, je vais devoir suspendre l'audience pour vous rafraîchir la mémoire. C'est dommage nous avons commencé depuis à peine un quart d'heure.

Ça s'offusque dans l'assistance. Vachement violente cette juge. Beaucoup de badauds retraités habitués des procès, qui viennent là comme ils vont au marché ou au théâtre, n'avaient jamais vu autant de violence dès le départ. Pourtant elle a lu le dossier. Évidemment.

Alors elle essaye d'avancer. Elle demande à Ismaël son identité.

Ismaël a compris la leçon alors il tente de bien faire : Ismaël Zaladou quarante-quatre ans 4 Sargasses huitième étage droite quartier Océan Douai.

    • Ce n'est pas parfait et ce n'est toujours pas une adresse mais on se rapproche.

Dylan et Ismaël se regardent. Eux les amis d'hier ennemis aujourd'hui ressentent pourtant la même incompréhension qu'est-ce qu'elle veut de plus celle-là ?

 

La Présidente de la Cour résume l'histoire. Les deux accusés sont jugés par la Cour d'Assise pour assassinat c'est-à-dire meurtre avec préméditation sur la personne de Monsieur Morris Benoud le 11 juin 2020 à 6 heures du matin environ. Ils sont accusés d'avoir enlevé Monsieur Morris Benoud, trente-huit ans, en l'enfermant dans le coffre d'une voiture, une Mercedes noire et de l'avoir emmené le long de la ligne de chemin de fer, de l'avoir fait sortir de la voiture et de l'avoir abattu de deux balles dans la poitrine dont l'une d'entre elle était mortelle presque sur le coup puisqu'elle a perforé le cœur. Il n'y avait pas d'empreintes digitales sur le corps d'aucun des deux accusés aucune trace ADN non-plus et on n'a jamais retrouvé le flingue ni la voiture. Il y a eu une plainte d'un gars qui habite pas loin du quartier pour le vol de sa caisse quelques jours avant et ça correspondrait pas mal mais évidemment y a pas de preuve.

Dylan il commence à s'énerver il dit c'est bon vous allez pas faire chier pour une bagnole tout le monde fait ça…

La Présidente le coupe et lui dit qu'elle lui a pas donné la parole que non tout le monde ne vole pas des voitures – Dylan a l'air étonné – et qu'ils sont surtout là pour un assassinat. Dylan il dit qu'il voit pas ce qu'il fout là. Il recommence à partir en live Vous allez me libérer M'dame parce que la taule franchement c'est pas cool si les chefs ils avaient accepté que ch'ois auxi ça irait quand même mais ça fait un an, M'dame ils me prennent tous la tête la-dedans...

La Présidente le coupe à nouveau. Elle essaye d'expliquer encore une fois qu'il ne parle que quand elle l'y autorise…

    • Quoi je parle quand je veux c'est moi qu'on enferme à tort c'est une erreur !

    • Vous êtes en détention provisoire vous n'êtes pas enfermé à tort. Si le tribunal vous déclare innocent…

    • Bien sûr que j'suis innocent M'dame vous me prenez pour qui moi j'vis tranquille au quartier, pépère, honnêtement y a pas de lézard M'dame faut me croire on va pas passer trois jours là-dessus !

Le ''honnêtement'' fait sourire dans la salle. Mais la juge répond que si, bien sûr, ils vont bien passer trois jours là-dessus que ça lui plaise ou non… Cinq, même.

Dylan il gueule encore, il emmerde tout le monde demain il viendra pas il en a rien à foutre c'est pas son problème démerdez-vous il s'en bat les couilles c'est pas ses affaires il a rien à foutre là, lui.

La juge lui répond toujours avec calme que c'est complètement son problème et qu'il risque trente ans d'incarcération.

Dylan il a rien fait c'est pas possible il dit qu'ils sont tous des enculés les flics qui l'ont envoyé en taule qui l'ont interrogé dans leur sac à pisse de commissariat de toute façon il a rien à dire il sait rien et ça continue comme ça... Le procès va être long…

 

La première personne appelée à la barre c'est un flic qui a interrogé les deux zigotos en garde à vue quelques jours après la mort de Morris. Il peut à peine parler, Dylan le coupe tout le temps lui-même coupé par la Présidente. Maître Pockann fait ce qu'il peut pour le faire taire Dylan lui dit qu'il l'emmerde et que s'il continue il arrête de le défendre de toute façon il a pas besoin d'être défendu il a rien fait.

Le flic il explique bien le comportement de Dylan qui était à peu près le même qu'au procès : agressif, il arrêtait pas de parler et insultait tout le monde, rien à battre de quoi que ce soit, c'est pas lui. Ismaël était beaucoup plus calme il répondait à peine aux questions et il avait rien fait non plus point final. Les deux avaient été déferrés à la fin de la gardave et incarcérés en provisoire Ismaël à Douai et Dylan à Maubeuge pour pas qu'ils se parlent et finalement l'enquête avait pas avancé des masses le flic reconnaît qu'ils ont pas grand chose pas le flingue pas la caisse pas d'empreintes pas d'ADN et personne a causé dans le quartier. Il dit juste que les deux balles venaient de la même arme et a priori tirées par la même personne dixit la balistique. C'est pas gagné se dit la Présidente mais le comportement de Dylan joue contre lui s'il continue ses conneries il va prendre pour les deux à lui tout seul même si c'est pas lui qui a balancé les bastos dans le buffet de Morris.

Et puis dans la salle, y a toute la bande sauf ceux qui vont témoigner ils ont pas le droit d'assister au début de la représentation pour pas gâcher la fin de la pièce mais y a pas mal de gens du quartier allez viendez ma bande on va supporter les copains mais c'est pas un stade de foot ici les gars on gueule pas quand y a un beau geste ou une parole à la con quand Dylan il fait un passement de jambes c'est pour tacler son avocat autant marquer un but contre son camp après tu dois mettre des attaquants pour revenir au score mais si t'as les pieds carrés tu risques pas de gagner le match.

 

Ensuite y a un toubib qui se pointe à la barre un psy. Il dit que Ismaël bon, il est pas con, qu'il est accessible à une sanction pénale, qu'il a eu une enfance difficile et qu'il a subit un traumatisme lié à des agressions sexuelles de la part d'une de ses tantes quand il était môme en gros elle lui enfonçait des trucs dans le cul quand il avait cinq ou six balais quoi et puis la tante elle est morte dans un accident de bagnole trois ou quatre ans plus tard et Ismaël il était dans la caisse mais il a rien eu le miracle de ouf limite il arrache une larme à la salle mais on y croit pas trop. Ismaël c'est plutôt le grand mec hyper musclé la petite barbe bien taillée les petites tresses collées sur la tête il fait plus flipper que pitié.

Le toubib dit que Dylan il a vrai trouble, lui, alors que pas de problème dans l'enfance il prenait des branlées par le père mais il a pas l'air traumatisé Dylan dit lui-même que c'est bien ça a fait de lui un homme et il reproduit ça sur ses gosses. Il dit qu'il a un vrai problème avec la loi et qu'il a pas de limites il comprend pas ce qu'on peut faire et ce qu'on peut pas faire il voit aucun problème à enfreindre la loi parce qu'il a pas accès à cette notion. Pour lui, on fait ce qu'on veut et c'est tout il a un vrai sentiment d'impunité et il voit pas de quoi il pourrait être puni même les mots ''sanction'', ''condamnation'' ''punition'' il comprend pas. En gros il fait et fera toujours ce qu'il veut et s'il y a une opposition il hurle insulte s'énerve et ne se maîtrise plus du tout parce que son psychisme ne peut pas comprendre l'interdit et la frustration, c'est pour ça que parler uniquement quand on lui donne la parole c'est impossible à piger pour lui en gros, il fait tout ce qu'il veut il est complètement centré sur lui-même et il a pas accès au fait que les autres peuvent avoir des émotions tellement lui il est coupé des siennes pour lui les émotions c'est pour les tarlouzes. Le toubib dit aussi que Dylan a un gros problème avec le sexe en général, qu'il supporterait pas que sa fille de quatorze ans ait des relations sexuelles même dans les années à venir car ça lui ferait perdre le contrôle sur elle et donc perdre de son autorité qu'il rattache à sa masculinité et qu'il met sa femme sur le trottoir pour se dédouaner inconsciemment de pas être un bon coup, en gros et là, Dylan il pète un câble et il insulte le pauvre toubib de tous les noms qui pourtant essayait de choisir ses mots, il avait conscience d'être au milieu de l'arène avec l'autre fauve qui peut s'exciter pour le bouffer à tout moment.

La Présidente suspend la séance envoie tout le monde bouffer reprise à quinze heures et on commencera par le témoignage de la femme de monsieur Salvi.

Allez, ''bon appétit Messieurs'', comme a dit l'ami Victor un jour en Espagne.

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