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Un cri du peuple
6 janvier 2020

Vies de quartiers - XII. Pierrot

   Ça lui a fait bizarre aujourd'hui à l'enterrement de Josette. Il était tellement pote avec Jean-Luc le vieux son mari. Il est plus vieux qu'elle et il a trois ans de plus que lui. Pierrot c'est pas le gars de quartier on se demande ce qu'il fout là d'ailleurs. Il a toujours habité là parce que ses parents habitaient ici et il a jamais déménagé. Quand la mine a fermé il a trouvé un boulot à Lidl il rangeait les palettes sortait les poubelles enfin le genre de merde que personne ne veut faire.

   Il y avait pas grand monde au petit cimetière ce matin. Les gosses Dylan Adam et Soline avec Samantha et Nassik. Adam sa femme n'était pas là. Elle doit bosser à Paris sûrement. Pierrot la connaît pas. Adam ça faisait un bon moment qu'il ne l'avait pas vu. Depuis la mort de Jean-Luc peut-être bien, encore que... Soline est toujours autant bizarre avec son voile depuis sa conversion il y a quelques années. Il comprend qu'on puisse trouver la foi s'évader grâce à une religion il est tolérant Pierrot. Mais il trouve qu'elle en fait un peu trop à toujours rester à l'écart des hommes. Même Ibrahim est venu il a dit que sa femme réceptionne la livraison de fruits et de légumes ce matin. Quelques habitants du quartier étaient là : Ismaël l'ami d'enfance de Dylan et surtout de Adam ; il a pas très bien tourné Ismaël ; Jade, Arthur l'assistant social du coin aussi. Une vingtaine de personnes. Quelques voisins. C'est tout. Ça été vite fait cet enterrement. Samantha a fait un petit discours maladroit et un peu nul et puis les gens ont jeté une fleur sur le cercueil et basta. Chacun s'est dit au revoir chacun est rentré chez soi chacun a repris sa petite vie. Oubliée la Josette. Fini. C'est dingue comme la mort passe vite ici.

 

   Pierrot il vit dans son appartement avec sa femme rue du Danube il voit les jeunes qui font les cons dans la rue quand ils sont pas sur la place et ça le dérange pas trop. Il regarde des films Pialat Almodovar Sautet Lelouche Truffaut Scorsese Guédiguian Kubrick Zidi il aime tout sur sa télé le lecteur DVD chauffe toute la journée et sa femme gueule un peu parfois elle dit qu'il en a trop qu'il pourrait les revendre. Il aime les polars les drames les films chiants les comédies l'action. Tout.

   Pierrot descend tous les après-midi sur la place chez Ibrahim boire une bière à cinq heures sauf quand il y a le Tour de France. Là, pendant trois semaines, il achète des bières à Lidl et il les boit à la maison devant l'arrivée et les jolis paysages. Il a jamais voyagé alors il voyage chaque été avec le Tour de France.

   Il fait toujours gaffe à être bien rasé et il va tous les mois au conseil de quartier. Il donne son avis. Il veut améliorer les choses. Il est toujours idéaliste Pierrot à soixante-huit balais.

   Pierrot se souvient de Jean-Luc. Un peu ours mais pas mauvais. Il savait pas trop comment faire avec ses mômes. Surtout celui du milieu qui passait son temps à lire dans sa piaule. Ça lui coûtait un pognon de dingue qu'il disait. Alors Pierrot disait à Jean-Luc t'inquiète pas ça l'aide à réfléchir et Jean-Luc disait que c'est pas ce qu'on lui demande et que si ça continue il va faire chier tout le monde. Jean-Luc était surtout attaché au peu de fric qu'il avait. Déjà qu'il avait réussi à acheter un petit appartement à la mer on sait pas trop comment c'était pas pour se faire emmerder par un de ses gamins. Quand il a eu son bac le deuxième Pierrot a dit c'est bien il s'en sortira plus tard et Jean-Luc a pas vraiment compris. Lui il a jamais eu le bac et il « s'en sort ». Ça veut dire quoi s'en sortir finalement ? Pour Pierrot ça veut dire s'en sortir de ce quartier pourri. Alors pourquoi il s'en sort pas, lui, de ce quartier pourri ? Bonne question. Il est là, il finira là, il ne connaît rien d'autre finalement.

   C'est un vrai gentil Pierrot. Il joue à la pétanque avec Ismaël tous les dimanches après-midi sur le terrain près de la place qu'ils ont réussi à avoir de la mairie. Les trafics des jeunes il s'y intéresse pas mais il voit tout depuis la fenêtre du salon. Pour lui ce qui compte c'est créer des parcs pour les gosses pour que les mamans puissent discuter sur les bancs sur la manière d'élever les enfants. Lui il en a jamais eu d'enfants il pouvait pas il parait mais sa femme ça lui allait bien finalement de ne pas en avoir. Pas emmerdé. Juste le boulot le soir un film et la tendresse de l'amour dans le lit. Maintenant ils sont vieux et ils n'y pensent plus trop à l'amour juste la tendresse et c'est déjà pas mal à leur âge. Ils sont en bonne santé. Tout le monde le connaît dans le quartier. Pierrot le sage comme ils l'appellent. Lui il veut pas d'emmerdes. Même quand il voit l'autre se faire embarquer en calbute dans le coffre d'une tire il dit rien il se demande si c'est une révolte ou si non Sire c'est une Révolution et après il cogite plus vraiment des masses sur l'autre qui s'est fait dessouder il se matte un nanar et il envoie balader le reste du bouzin dehors.

   Mais c'est vrai qu'à part le cinoche ce qui le botte c'est ses parties de pétanques. Les gens disent qu'il est devenu un vrai pro mais lui il sait qu'il est le meilleur pointeur du quartier et rien de plus. Il gagne souvent parce qu'il joue avec Ismaël qui est le meilleur tireur du quartier quand il est pas défoncé et rien de plus. Ils rêvent pas aux championnat de France ou aux Masters qui passent à la télé non : eux ils jouent et mettent des pilules à toutes les doublettes du coin. Le dimanche son vocabulaire c'est les carreaux les palets les trous c'est pointer tirer faire de la place embouchonner.

    Pierrot c'est la mémoire surtout. La mémoire de la mine avant qu'elle ferme. Avant qu'il se retrouve à trente balais à bosser à Lidl. Il a quand même fait quatorze ans dans la mine et ça, ça compte.

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